Nos quelques pages sur la Résistance n'ont pas l'ambition de constituer une référence sur le sujet où la période. Notre seul souhait est qu'il vous soit agréable de les lire.
Le samedi de Pâques 24 avril 1943, Jean Moulin arrive à Saint-Andiol à bicyclette. Devant sa mère, il ne parle que de la galerie Romanin et de sa fierté d'avoir vendu des Jongkind au musée des Beaux-arts de Grenoble. Sa mère couchée, il fait à sa sœur un compte-rendu de son dernier séjour à Londres, lui parle de la Croix de la Libération qu'on lui a remise, mais aussi de l'arrestation de son ami Henri Manhès. Cette arrestation l'inquiète car il lui avait remis des photos d'identité pour qu'il lui fasse une nouvelle carte d'identité.
L'après-midi du dimanche, Laure et Jean partent à bicyclette pour leur maset d'Eygalières. Jean taille quelques pins pour les mettre en forme et fait des projets pour remettre en état et agrandir cette construction à moitié taillée dans le roc. Le lundi de Pâques, déjeuner chez Marius, fermier aux Paluds et farniente sur l'herbe d'un pré.
Tôt le mardi matin, départ en bicyclette pour reprendre le train en gare d'Avignon. Jean confie à sa sœur :
Je fais quelque chose de très important et difficile en ce moment. Si je réussis, comme je l'espère, je passerai de l'autre côté de la Manche pour me faire oublier quelques temps. Je suis très visé, je dois redoubler de précautions. Ne m'écris pas, même si maman était malade, même [et il hésita un moment] si elle devait mourir. On choisirait le moment de ses obsèques pour m'arrêter. Je t'enverrai de temps à autre un mot par un courrier, mais toi, ne m'envoie rien.
Laure l'embrasse avec plus d'émotion que d'habitude, elle ne le reverra pas.
Dans son rapport à Londres du 7 mai 1943, Il exprime ses craintes, non tant pour sa personne que pour la continuité de son action :
Il est indispensable que j'aie un double dans chaque zone et un certain nombre de collaborateurs à poste fixe. […] D'autre part, je suis recherché maintenant tout à la fois par Vichy et la Gestapo qui, en partie grâce aux méthodes de certains éléments des mouvements, n'ignorent rien de mon identité ni de mes activités.
Le 27 mai, la tâche importante et difficile qu'il évoquait avec sa sœur est accomplie. Il peut en effet passer de l'autre côté de la Manche, pour peu que Londres lui donne les moyens qu'il évoquait dans son message du 7 mai pour organiser son absence.
Du 12 au 14 juin 1943, week-end de pentecôte, Il ne veut pas prendre le risque de rester à Lyon où la Gestapo fait des coupes sombres, ni de prendre le train pour Saint-Andiol. Il demande à Tony de Graaff de lui trouver une planque pourvue d'une seconde sortie sur l'arrière. Ce sont les parents d'une jeune secrétaire, Hélène Vernay, qui lui offrent l'hospitalité, acceptant de l'héberger au risque d'y perdre eux-mêmes la liberté voire la vie. C'est chez eux, à Trévoux, à deux pas de la mairie qu'il vit ses derniers jours paisibles. Il s'adonne avec ses hôtes à la chasse aux escargots près de la tour qui surplombe le village, et de Trévoux, remonte à bicyclette vers le nord jusqu'au village de Beauregard dont il dessine l'église (voir notre chapitre L'Artiste / Derniers croquis).
Le 9 juin 1943, le général Delestraint a rendez-vous à Paris avec René Hardy, Joseph Gastaldo et Jean-Louis Théobald. Ce rendez-vous est organisé par son chef de cabinet Henri Aubry du mouvement Combat qui pour cela fait déposer par sa secrétaire Mme Raisin, un message en clair (la règle aurait voulue qu'il soit crypté !), dans la boîte aux lettres de Suzanne Dumoulin. Cette boîte aux lettres est malheureusement connue de Jean Multon, membre de Combat qui vient d'être "retourné" par la Gestapo.
Ainsi, Jean Multon, informé de ce rendez-vous, monte à Paris en compagnie de Robert Moog, français mais redoutable agent de la Gestapo, collaborateur de Klaus Barbie. Dans le train qui les conduit à Paris, dans la nuit du 7 au 8 juin, ils repèrent et font arrêter René Hardy en gare de Chalon-sur-Saône. René Hardy est pris en charge par Klaus Barbie qui le redescend à Lyon et le libère. À Paris, le 9 juin à 9 heures, Charles Delestraint est arrêté au métro Muette, puis Joseph Gastaldo et Jean-Louis Théobald sont arrêtés au métro Rue de la Pompe.
Pierre Meunier, qui a rendez-vous avec le général Delestraint le 10 juin à Saint-Michel ne le voit bien sûr pas arriver. Il apprend son arrestation le lendemain. Jean Moulin, informé le samedi de Pentecôte 12 juin, décide de prolonger son séjour à Lyon pour prendre, avec les responsables de l'Armée Secrète, les dispositions provisoires nécessaires avant la nomination d'un remplaçant au général Delestraint.
En attendant une réorganisation plus complète, Jean Moulin propose de nommer deux inspecteurs généraux, Raymond Aubrac pour la zone nord et André Lassagne pour la zone sud. La réunion est organisée par Lassagne, Aubrac et Henri Aubry le samedi 19 juin en fin d'après-midi. Sans en faire part ni à Aubrac ni à Aubry, André Lasagne prépare deux lieux de rendez-vous, l'un chez le Docteur David à Saint-Rambert, l'autre chez le Docteur Dugoujon à Caluire, deux amis sûrs, camarades de lycée. Les convocations se font uniquement oralement. Pas de message, pas de boîte aux lettres, moins de possibilité de fuite.
André Lassagne a donné rendez-vous à Henri Aubry à la "Ficelle" de la Croix-Paquet. Il a la surprise de le voir arriver en compagnie de René Hardy qui n'était pas convoqué. Le colonel Lacaze les attend déjà chez le Docteur Dugoujon. Bruno Larat les rejoint peu après.
Jean Moulin, le matin même, avait eu une longue conversation avec Henri Aubry qui s'était bien gardé de lui annoncer que, sur ordre de Pierre de Bénouville, René Hardy devait se joindre à lui pour venir à la réunion l'appuyer de ses dons de débateur et défendre la position de Combat.
Jean Moulin, a rendez-vous place Carnot avec Raymond Aubrac. De là, ils vont attendre le colonel Schwarzfeld au terminus de la ficelle. Le Colonel arrive avec un quart d'heure de retard. Tous trois rejoignent la maison du Docteur Dugoujon.
Peu après, la police allemande fait irruption…
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