Jean Moulin - Artiste, Préfet, Résistant - le site de sa famille - L'Artiste - En Savoie
Jean Moulin - Artiste, Préfet, Résistant...

Pseudonyme Romanin

Le 10 mars 1922, il rejoint Chambéry au cabinet du Préfet. Éloigné pour la première fois de sa famille, et malgré des fonctions nouvelles fort absorbantes, il consacre ses soirées et ses loisirs au dessin. Il continue à collaborer à des journaux de Paris : ses dessins humoristiques sont publiés dans les journaux satiriques Le Rire, Gens qui rient, Gringoire (voir Journaux satiriques). Il expose quelques œuvres au Salon de la Société des Beaux-Arts de Chambéry en juillet 1922. Il signe dorénavant du pseudonyme de Romanin, du nom d'une ruine médiévale des Alpilles, près de Saint-Rémy-de-Provence, qu'il connait bien depuis son enfance. Cela lui permet de cloisonner vie professionnelle et artistique.

Il ne se sépare jamais d'un carnet de croquis. Ses œuvres s'inspirent de la vie mondaine d'Aix-les-Bains et des sports d'hiver à Megève. Partout où il est, au café, au restaurant, au marché, au Casino d'Aix, il trace des types et des attitudes pittoresques ou grotesques.

Il fréquente les milieux artistique - rencontre Jean Saint-Paul

Il se lie d'amitié avec Jean Saint-Paul, artiste peintre et fils d'un conseiller de la préfecture. Ils ont presque le même âge. Jean Saint-Paul est né en 1897. Jean Moulin dit de lui à sa sœur « Il fait de la peinture moderne et appartient aux groupements d'avant-garde. Je crois qu'il a du talent. Il a d'ailleurs obtenu des succès. Actuellement, il expose avec un groupe de peintres modernes : Maurice Asselin, Othon Friesz, Suzanne Valadon, etc. à la Galerie Bernheim à Paris... Il vient d'ailleurs d'achever mon portait. Il est assez réussi. ». Jean Moulin, par l'une de ses connaissances, lui permet d'avoir un article dans le Monde nouveau à propos de cette exposition de ses toiles à la galerie Bernheim. En retour, Jean Saint-Paul lui permet de faire la connaissance d'Achille-Émile Othon Friesz, artiste natif du Havre. Ce dernier fut le condisciple de Raoul Dufy et de Georges Braque. Il présente Jean Moulin à la peintre Suzanne Valadon, mère de Maurice Utrillo, qui a bien connu Auguste Renoir, Edgar Degas, Henri de Toulouse-Lautrec et fréquente la plupart des artistes de l'époque dont Pablo Picasso. C'est ainsi que Jean Moulin, jeune artiste, fait la connaissance des plus grandes personnalités d'un monde artistique qui le fascine.

C'est à cette époque que Jean Moulin publie une série de dessins-carricatures avec des scènes dont il est le témoin, à Aix-les-Bains où, en ces temps, florissait la gent cosmopolite. Il intitule cette série Ixe-les-Bains - Croquis de ville d'eau.

Certaines de ses œuvres font parler de lui dans la presse méridionale !

Il découvre la musique - rencontre Maurice Ravel

Au cours de l'été 1922, Jean Moulin profite de la saison à Aix-les-Bains pour faire son éducation musicale. Il assiste à une représentation de Lohengrin avec des artistes de l'Opéra.

Extrait d'une lettre à ses parents,
Chambéry, août 1922.

C'est très beau comme musique. Je n'avais jamais entendu d'opéra de Wagner, mais ce n'est pas difficile à comprendre et Lohengrin est à la portée de tous. Et moi qui suis profane en musique, oh ! combien cela m'a beaucoup plus.

On a donné hier soir une très jolie représentation de Paillasse avec Hellbronner, Lemaire et Billot(1), Le ballet du Cid et une création à Aix : L'heure espagnole, de Franc-Nohain, musique de Maurice Ravel. (Ce fut une heure un peu longue).

Franc-Nohain se fiche du public, consciencieusement, comme à l'ordinaire. Et la musique est dadaïste ! Il paraît qu'on a trouvé cela très bien à Paris(2).

Il se lie d'amitié avec des jeunes gens de la société chambérienne qu'il retrouve au concert, au théâtre ou au bal. La benjamine Lucienne M..., Chouke pour ses proches, orpheline de guerre, a dit de lui :

« [...] Mince, vif, il surprenait par un air d'extrême jeunesse [...]
Son visage mobile et expressif, aux yeux noirs, tour à tour rêveurs ou pétillants de malice, devint bientôt familier aux Chambériens. Jean Moulin rejoignait volontiers, à ses moments de loisir, notre groupe amical de jeunes pour danser ou faire de la montagne.
Si, au premier abord, il pouvait paraître un peu réservé et distant, il était, dès qu'on le connaissait mieux, un ami incomparable, faisant preuve de cette gentillesse innée, si rare, qui vient du cœur.
Dans notre petit groupe, dont il fut très vite l'âme, il était à la fois le plus gai et le plus sage, le meilleur aussi.
Il avait un rayonnement extraordinaire, qui le rendait très différent des autres jeunes gens [...]. Ses idées généreuses, qu'il exprimait simplement mais avec foi, furent pour beaucoup de nous à l'origine d'une prise de conscience plus profonde de certains problèmes humains. [...]
C'était un artiste né ; il joignait à son talent de dessinateur une compréhension et un amour très grand de la poésie et de la musique. Il avait enfin le sens de l'amitié, et ceux d'entre nous qui eurent la joie de le rencontrer de nouveau, par la suite, le retrouvèrent avec émotion aussi simple et fraternel qu'au temps de leurs vingt ans. ».

La jeune Chouke faisait beaucoup de musique. Jean Moulin l'accompagnait souvent au concert, à un examen ou une audition à Aix-les-Bains ou à Lyon. À Lyon, après un concert dirigé par Maurice Ravel lui-même, Jean et Chouke allèrent féliciter le maître et solliciter un autographe. Jean Moulin lui parla longuement, et son charme et sa persuasion firent si bien que, non seulement Ravel accorda les autographes demandés, mais qu'il s'offrit à donner des conseils à Chouke qui devait jouer quelques jours plus tard certaines de ses œuvres. Il les emmena dans la petite salle du septuor et, durant plus d'une heure, lui donna de précieuses indications, se mettant lui-même au piano, de temps à autre, pour les illustrer. En retour, il demanda à Jean Moulin les croquis que ce dernier avait faits durant cette séance (ces croquis ont certainement disparu).

La montagne et le ski - rencontre de Pierre Cot

À Chambéry, Jean Moulin profite de la proximité des sommets enneigés pour découvrir la montagne et le ski, nouveau sport de l'époque. Jean Moulin devint un très bon skieur, et plus tard, lorsque sa carrière l'éloigna de la Savoie, son meilleur délassement d'hiver était de revenir passer quelques jours dans les Alpes pour s'adonner à son sport favori.

C'est alors qu'il est sous-préfet d'Albertville que Jean Moulin fait la connaissance de Pierre Cot, un jeune avocat du barreau de Paris, originaire du canton de Chamoux. Cot et Moulin qui étaient tous deux passionnés de ski, nouèrent une amitié qui ne se démentit jamais.

Un mariage qui aura peu duré

Pour que son bonheur fut complet, il ne lui manquait qu'une compagne. Il l'avait trouvée en la personne de Jeannette, fille des Auran, amis de la famille. La jeune fille répondait à ses sentiments. Prié par son fils, Antonin envoya aux Auran une demande en mariage en règle et Jean alla chercher lui-même la réponse à Paris dans les premiers jours d'août 1922. Il se heurta hélas à un refus, les Auran, qui tiennent un restaurant bien connu à Montparnasse, les Mille-Colonnes, ne voulant pas offrir la main de leur fille à un petit fonctionnaire.

En 1926, nouvellement nommé sous-préfet à Albertville, il songea sérieusement à fonder une famille. Il lui semblait qu'à la tête d'une sous-préfecture, la présence auprès de lui d'une jeune femme lui permettrait de mieux accueillir et traiter ses hôtes officiels. Il jeta son dévolu sur Marguerite Cerruty, une jeune fille d'à peine 19 ans, une très jolie blonde aux yeux bleus, au teint clair et aux traits fins, dont il avait fait la connaissance à Chambéry. Laure Moulin parle ainsi d'elle : « Elle aurait été vraiment belle si ses formes avaient été moins opulentes. Je ne sais comment mon frère, artiste et amateur de belles lignes, avait pu s'éprendre d'une jeune fille douée d'un tel embonpoint... ». Ils se marièrent le 27 septembre 1926 à Betton-Bettonet.

Mais Marguerite ayant vécu à Paris s'ennuyait dans cette petite ville de province. Elle abandonnait son mari, des mois durant, pour aller faire du chant dans la capitale où elle désirait présenter le concours du Conservatoire. À plusieurs reprises Jean Moulin alla la chercher à Paris, puis se lassant de cette indifférence, il lui enjoignit par lettre de rejoindre le domicile conjugal. Elle fit la sourde oreille. Au début de mai 1928, il demanda le divorce qu'il obtint très rapidement, le 19 juin 1928, aux « torts et griefs de la femme », qui d'ailleurs avait fait défaut.


Notes

(1) Sans doute Étienne Billot, artiste lyrique (baryton-basse) français, né à Béziers le 25 septembre 1879 et mort à Marseille le 28 octobre 1962.

(2) Il ne semble pas avoir apprécié cette musique de Ravel, mais surtout le livret de Franc-Nohain !


Au salon des Beaux-Arts de Chambéry !

En 1922, jean Moulin expose plusieurs dessins et tableaux au Salon des Beaux-Arts de Chambéry dont un magnifique pastel. Il signe dorénavant du pseudonyme de Romanin.
Notez que le dessin "Les vieilles" présenté ci-dessous n'est pas celui qu'avait annoncé Jean Moulin.

 

Quelques-unes de ces œuvres ont été exposées à Béziers en 1924, comme en témoignent ces articles de presse.

 

Salon des Beaux-Arts de Chambéry : Toreros et picadors en Savoie !

Le thème des toreros et picadors, souvenir de son enfance à Béziers, le poursuivra jusqu'en Bretagne, dans une de ses premières gravures. Revoici le pastel "Les picadors", suivi de quelques croquis d'études puis d'une gravure.

 

Vie mondaine au ski

Il continue à publier des dessins humoristiques et ne se sépare jamais de son carnet où il croque ses contemporains.

 

Portraits, nus et autres dessins...

Il a fait plusieurs études de nus, surtout dans des carnets, certainement réalisés pour la plupart à la Grande Chaumière. Il a aussi réalisé plusieurs autoportraits ou portraits de proches.

 

Souvenirs de Chambéry...

Voici quelques cartes postales de Chambéry et Aix-les-Bains conservées par Jean Moulin, dessins à la plume signés M. - Artiste inconnu.

 

Et une dédicace de Robert Millat. Né à Lodève dans l'Hérault, Robert Millat fut Chef de cabinet du préfet de Savoie, successeur de Jean Moulin, sous-préfet puis préfet de la Nièvre sous le gouvernement de Vichy entre septembre 1942 et septembre 1943, ami de Laval qu'il défendit lors de son procès.